Présent au salon BIG 2025, grand-messe mondiale de l’innovation organisée par Bpifrance, le ministre sénégalais de l’Économie, du Plan et de la Coopération, Abdourahmane Sarr, s’est exprimé devant un parterre de décideurs, d’investisseurs et de personnalités économiques. Seneweb, qui a couvert l’événement, revient sur un discours dense et sans concession, marqué par un appel à la lucidité et à la transformation structurelle des économies africaines.
La vérité comme exigence
Dès l’ouverture, le ministre a posé le cadre de son intervention en invoquant la nécessité de dire la vérité. « Il est effectivement une vertu qui nous manque parfois dans nos débats économiques et politiques, la vérité », a-t-il déclaré. Il a rappelé que « l’Afrique est à la croisée des chemins avec deux défis majeurs, la croissance démographique et l’urbanisation », en ajoutant des chiffres sans détour « la moitié de la population sénégalaise a moins de 19 ans » et « l’urbanisation estimée à 55 % en 2023 est projetée à 65 % en 2050 ».
Les illusions à abandonner
Le ministre a ensuite égrené ce qu’il désigne comme des illusions qui ont freiné la maturation économique du continent. « Nous avons parfois nourri des illusions et ignoré des réalités », a-t-il affirmé, avant d’énoncer successivement « l’illusion que l’endettement extérieur pouvait indéfiniment soutenir la croissance », « l’illusion que l’aide étrangère remplacerait notre effort d’organisation et de productivité » et « l’illusion que nous pouvions distribuer avant de produire, urbaniser sans planifier ».
Sarr a insisté sur l’idée que mal poser le problème conduit à de mauvaises solutions, rappelant qu’« un problème sans solution est un problème mal posé », puis questionnant publiquement « Quelle est la vérité sur ce problème africain ? »
La confiance comme clé du financement
Reprenant la thématique du financement, il a refusé toute vision simpliste. « Le financement du développement ne se résume pas à trouver de l’argent, car en réalité, de l’argent, il y en a assez », a-t-il martelé. La condition pour mobiliser ces ressources tient selon lui au climat de confiance. Il a détaillé les formes requises de cette confiance en enchaînant des verbatims brefs et percutants « confiance des citoyens quand leurs impôts sont bien utilisés », « confiance des investisseurs quand les règles sont claires et stables », « confiance des partenaires quand les engagements sont respectés », « confiance des financiers quand les projets sont bien réalisés ».
Il a par ailleurs rappelé que la discipline macroéconomique constitue un capital précieux, en affirmant « la discipline macroéconomique est notre premier capital » et en soulignant que « sans confiance monétaire, il n’y a pas de financement durable ».
Un modèle voulu pragmatique et souverain
Abordant la place de l’État et du marché dans la transformation, Abdourahmane Sarr a défendu une position nuancée. « L’État ne peut pas tout faire et seule la liberté économique libère l’énergie créatrice », a-t-il expliqué, avant de préciser que le rôle de l’État doit être celui d’un organisateur éclairé et non d’un frein à l’initiative. De cette réflexion est née l’expression qu’il a longuement développée « libéralisme souverainiste structurant ». Il a décrit ce concept en ces termes « souverainiste parce qu’il place la responsabilité première sur nos propres institutions et nos peuples », « libéral parce qu’il croit en la force de l’initiative privée et de l’inclusion économique », et « structurant parce qu’il exige une planification claire de l’État ».
Capacités humaines et coopération réinventée
Pour rendre la transformation possible, le ministre a appelé à des choix concrets. « Il nous faut enfin un investissement massif dans le capital humain. Ce n’est que de cette manière que nous pourrons capturer le dividende démographique lié à la croissance de la population africaine, notamment sa jeunesse », a-t-il dit. Il a soutenu par ailleurs que l’infrastructure déficiente peut attirer le capital privé si l’organisation est adéquate « le déficit dans l’infrastructure de l’Afrique est énorme, et pourtant les usagers sont prêts à payer, donc à rémunérer le capital privé. Il faut organiser sa venue dans les localités ».
Sarr a demandé une redéfinition de la coopération internationale en ces termes nets et directs « la coopération doit dépasser la logique de l’aide. Elle doit se fonder sur des partenariats mutuellement profitables où l’investissement privé ne voit pas seulement un marché de consommation mais un territoire d’innovation, d’exportation et de compétitivité ».
Trois dividendes à capturer
Au fil de son intervention, le ministre a résumé la visée stratégique en trois formules synthétiques qu’il a invité l’auditoire à retenir « le dividende démocratique, le dividende démographique et le dividende de densité ». Il a conclu en affirmant que ces vérités imposent des choix politiques et économiques courageux, répétant avec force « la vérité est exigeante, mais féconde ».
L’allocution d’Abdourahmane Sarr a suscité de nombreuses réactions parmi les participants et ouvre un espace de débat essentiel sur la manière de financer la transformation du continent tout en préservant souveraineté et cohésion sociale.
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